LE REGARD D’UN VÉRITABLE HOMME DE TERRAIN 

Un danger pour la démocratie ?

Montée de l’abstention et des votes extrêmes, effondrement de la confiance dans les partis et le personnel politique… les symptômes d’une crise grave de notre démocratie s’accumulent. Une des explications de ce phénomène: l’exercice des mandats est devenu l’affaire quasi-exclusive d’élus professionnalisés.

Le phénomène est spectaculaire: le nombre de mandats susceptibles d’être exercés à temps plein s’est considérablement accru, en même temps que se multipliaient les postes de conseillers attachés aux cabinets et aux groupes politiques.

L’entrée en politique le plus souvent en passant par le sas des entourages est devenue monnaie courante. Et l’idée s’est installée que cette entrée se faisait pour la vie entière. Ainsi prend place dans les exécutifs un personnel politique de plus en plus composé de personnes qui n’ont jamais exercé́ d’autre activité́ et, pour beaucoup, qui n’envisagent pas de le faire.

Deux raisons pour expliquer ce phénomène.

La première :

La professionnalisation de la vie politique est une explication majeure de la crise de confiance démocratique. Les acteurs politiques vivent de leurs indemnités, qui servent parfois aussi à rétribuer leurs collaborateurs. Les carrières politiques s’étudient donc aussi sous un angle économique. Passer la main implique de renoncer à ces indemnités. Les professionnels de la politique s’attachent donc de plus en plus à leur mandat et essaient de rester le plus longtemps possible.

Pendant ce temps, les signes s’accumulent de ce que la concentration du pouvoir dans les mains d’une élite professionnalisée, vivant sur elle-même et se reproduisant en milieu fermé, alimente le malaise qui s’installe entre représentés et représentants. Les citoyens se reconnaissent de moins en moins dans les élus qui les représentent. Et  mode de vie des élus les cantonne dans un entre soi à bonne distance des préoccupations de tout un chacun que les passages sur le terrain ne suffisent pas à diminuer.

Ceci étant, l’opinion publique est ambiguë : elle souhaite une rénovation, mais, dans le même temps, elle plébiscite des personnes de confiance, expérimentées. Les Français entretiennent une relation  bienveillante avec les anciens de la politique !

La deuxième :

Celle de la porosité entre la haute fonction publique (l’ENA) et le monde politique. Si l’on peut se féliciter de l’utilité d’une formation de haut niveau au service de l’administration, il est difficile de lui reconnaître ce privilège de préempter l’ensemble des espaces de pouvoir. Ce débat mériterait d’être posé par les élus en demandant à tous les énarques de démissionner de leur statut de fonctionnaire dès lors qu’ils sortent du strict cadre de l’administration, pour intégrer les structures de pouvoir. Cette décision  permettrait l’arrivée de compétences nouvelles à de nombreux postes stratégiques. Nicolas Sarkozy se targuait souvent de ne pas être issu de la haute fonction publique, mais force est de constater que l’ENA reste une voie royale. La fameuse promotion Voltaire est particulièrement représentée au sein de l’exécutif actuel.

L’une des réformes possibles serait de renouer avec l’idée fondatrice de la démocratie selon laquelle la représentation est une mission, d’autant mieux remplie qu’elle se nourrit d’une bonne immersion dans la vie collective, et qu’elle est partagée entre un large ensemble de personnes qui ne s’en chargent que pour un temps. La traduction en règles de droit est simple à concevoir : limitation des cumuls et surtout limitation de la répétition des mandats dans le temps. Plus facile à dire qu’à faire ? Certains estiment qu’une telle limitation rendrait la classe politique moins compétente vis-à-vis de l’administration qui elle, perdure. Mais surtout, les élus n’y ont aucun intérêt. Pour les parlementaires qui auraient à voter une limitation des mandats dans le temps, ce serait se tirer une balle dans le pied.

P R